La gouvernance terroriste

La capacité de la Turquie à garantir la durabilité de ses succès contre l'Etat islamique dépend en grande partie de l'amélioration de la gouvernance à Jarablus.
La structure de gouvernance de Jarablus - à la suite de l'intervention militaire de la Turquie qui a chassé l'État islamique d'Irak et de Syrie (ISIS) du district en 2016 - a reproduit celle utilisée dans d'autres zones tenues par les rebelles en Syrie, avec un conseil local qui gère le district. La Turquie et ses alliés ont ignoré la structure de gouvernance locale existante et soutenu un nouveau conseil de district nommé, qui, parmi les citoyens, manquait de légitimité et créait des tensions. L'incapacité du conseil à fournir des services publics traditionnels a également rapidement accru le ressentiment à son égard, ce qui a entraîné de nombreuses manifestations qui l'ont finalement renversé en février 2017.
Le besoin pressant d'une reconstruction d'urgence à Jarablus a entravé l'engagement de la Turquie à réaliser d'importants investissements futurs dans cette région. La gestion du district dépendait en grande partie de solutions à court terme plutôt que d'une planification à long terme. En conséquence, les services publics sont soit inexistants, soit de mauvaise qualité, notamment à la campagne.
Le travail humanitaire à Jarablus se limite aux efforts de la Turquie et des organisations qu'elle approuve. Les acteurs humanitaires syriens et internationaux ne peuvent pas y opérer, mais ils peuvent toujours canaliser leur soutien par le biais d'organisations agréées. Ce monopole a accru la dépendance des habitants à l'égard de la Turquie et les a empêchés de lever des fonds pour mettre en œuvre des projets indispensables.
Le rôle et l'influence officiels de la Turquie dans le gouvernement de Jarablus restent flous, mais il y a une supposition générale parmi les habitants qu'elle gère le district. Ainsi, l'échec à en faire un modèle réussi a créé une frustration envers la Turquie parmi les habitants. Des manifestations occasionnelles ont été organisées pour protester contre l'influence accrue perçue de la Turquie et son impact négatif sur la région.
L'absence d'une stratégie globale post-ISIS dirigée par la Turquie a déstabilisé Jarablus. L'absence de stratégies de lutte contre la radicalisation pour s'engager avec les habitants influencés par l'idéologie de l'Etat islamique, en particulier les enfants, les rend vulnérables au recrutement par des groupes radicaux. L'incapacité du conseil local à fournir des services permet également à ces groupes d'utiliser la prestation de services pour obtenir un soutien et reconstruire leur base de pouvoir. En outre, ignorer les sensibilités locales contribue à la tension ethnique entre les Arabes et les Turkmènes, et peut conduire à des affrontements, qui pourraient éventuellement permettre aux radicaux.
La capacité de la Turquie à garantir la durabilité de ses succès contre l'Etat islamique dépend en grande partie de l'amélioration de la gouvernance à Jarablus. Pour y parvenir, il pourrait soutenir la légitimité du dernier conseil de district, formé par les sections locales en mars 2017, en renforçant sa capacité à gouverner. Les initiatives de reconstruction à court terme devraient être remplacées par des stratégies à long terme telles qu'un programme de lutte contre la radicalisation pour contester l'idéologie de l'Etat islamique et réduire son influence. En outre, une transparence accrue concernant l'implication de la Turquie dans la gestion de Jarablus et ses objectifs, ainsi que la capacité des habitants à se gouverner eux-mêmes amélioreraient les chances de la Turquie d'atteindre son objectif.